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"Les femmes peuvent aussi être médiatrices" (Anny Modi)

Paul Lorgerie
31 janvier 2024

Entretien avec Anny Modi, militante congolaise des droits humains en RDC. Elle a reçu le Prix franco-allemand des droits de l'Homme 2023.

https://p.dw.com/p/4brCr

En République démocratique du Congo, la défenseuse des droits humains Anny Modi figure parmi les personnes récompensées par le Prix franco-allemand des droits de l'Homme et de l'Etat de droit 2023.

Voilà maintenant plus de dix ans que cette femme de 42 ans, qui a connu les affres de la guerre, milite au sein de son association Afia Mama, pour relayer la voix des plus vulnérables devant les plus grandes instances internationales.

Ecoutez-la ci-dessus, quelques minutes après la réception de son prix, au micro de Paul Lorgerie.

Interview avec Anny Modi

DW : Comment en êtes-vous venue à la protection des droits humains ?

C’est parti de mon expérience personnelle puisque quand j'étais toute petite, mon père faisait de la politique,sous la deuxième république en son temps. Mais il est mort très tôt et j'étais très jeune et de là j'ai dû aller vivre en famille élargie, à l'est de la République démocratique du Congo, à Goma.

Cela coïncide avec le génocide et l'entrée des réfugiés rwandais, ce qui marque le début de plusieurs épisodes douloureux. Mais aujourd'hui, ce sont des leçons qui m'ont donné l'énergie et l'énergie positive que je mets au bénéfice de ma communauté.

Au fait, mon apparence pose souci car je ne ressemble pas trop aux Congolaises. Je suis assimilée à un groupe ethnique auquel je n'appartiens pas. C'est là que tout commence.

Escales : déplacés et réfugiés

Très jeune, j'ai été jeune-fille mère, je n’avais que 17 ans. Il m'a fallu fuir la guerre, partir de Goma en passant par le Rwanda, Bujumbura, la Tanzanie, la Zambie, pour terminer à Lubumbashi où j'ai fini dans les cellules de l'ANR [Agence nationale du renseignement, ndlr], pendant quatre jours, parce qu'il leur fallait faire toutes les vérifications pour s’assurer que je n'étais pas une espionne. Toutes ces expériences sont douloureuses.

J'ai vécu comme réfugiée pendant une dizaine d'années en Afrique du Sud. C'est là que j'ai commencé vraiment à mettre en application les vœux que je m'étais faits si je sortais vivante de la guerre de Kivu : être la voix des sans-voix.

DW : Vous venez de l'est de la RDC, vous avez connu la guerre. Aujourd'hui, on sait que la guerre continue dans l'est du Congo. Votre travail se concentre sur les droits des femmes, sur la protection des femmes. Quelle est la situation aujourd'hui sur place ?

La situation aujourd'hui sur place s'est empirée puisque, à l'époque où moi j'ai vécu la guerre, c'était clair qu'il y avait un groupe armé, une rébellion, qui a commencé à x endroit, qui avançait pour aller conquérir le pouvoir à Kinshasa.

L’AFDL est arrivée à Kinshasa et le régime a changé. Mais aujourd'hui, nous avons une guerre interminable.

Ce sont plusieurs groupes armés qui pullulent et leur intention n'est pas aussi clairement définie. Leurs revendications ne sont pas aussi claires que les revendications que nous avons eues en 1998.

Aussi,l'utilisation des viols comme arme de guerre a continué.

Autre chose : la situation par rapport aux, aux filles et aux femmes a empiré, puisque si je prends l'année passée, les cas  d'exploitation, d’abus sexuels et de violences sexuelles sur les femmes déplacées de guerre dans des camps autour de Goma étaient tellement élevés que cela nous a contraints, nous communauté humanitaire, à changer d’approche et à penser à plus de prévention que de réactions.

Grandir et réussir dans une zone de conflit


DW : Vous avez dit quelque chose d'intéressant pendant votre discours, qui est que les femmes sont les principales victimes, mais qu'elles ne sont jamais dans les solutions.

C'est vrai que les femmes, elles subissent les effets de la guerre, mais elles ne sont souvent pas autour des tables pendant les processus de résolution des conflits, les négociations.

Par exemple, nous en avons eu depuis deux ans avec le processus de Nairobi ou le processus de Luanda.

Les voix qui décident, ce sont plus les voix des hommes.

Lorsqu'on invite les femmes, c'est pour venir témoigner des violences qu'elles ont subies. Nous voulons être invitées en tant que femmes médiatrices. Nous voulons que nos propositions soient entendues, afin qu'on puisse arriver à  des accords qui vont nous amener à une paix durable.

Les rapports des Nations unies de l’ONU-femmes démontrent qu'un processus où il y a des femmes a 30 % de chances en plus d'aboutir à des accords qui soient solides, des accords qui mènent à une paix durable.

DW : Comment on change les mentalités et comment on introduit les femmes dans ces processus de paix ?

Les femmes sont là.

C'est une question de respect des textes, des lois qui existent. Nous avons une constitution qui reconnaît la parité, nous avons une loi sur la modalité de mise en œuvre de droit de la femme et de la parité.

Ce dont nous avons besoin ici, c'est que les autorités puissent faire appliquer les textes. On vient de sortir des élections. Nous avons clairement vu que beaucoup de chefs ou de partis politiques ou de regroupements qui chantent les louanges de la parité, qui se disent les champions de la masculinité positive... mais qui n'ont pas aligné les femmes sur leurs listes.