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"Nous n'avons pas accès au dossier Martinez Zogo !"

Paul Chouta
24 janvier 2024

Me Hakim Chergui, avocat de la famille de Martinez Zogo, déplore le manque de transparence de l'instruction sur le meurtre du journaliste camerounais.

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Notre invité de ce matin : maître Akim Chergui, avocat au barreau de Paris et agréé à la Cour pénale internationale. Il est membre du collectif des avocats des ayants-droits de Martinez Zogo, ce journaliste enlevé et tué le 17 janvier 2023, en périphérie de Yaoundé, au Cameroun.

Maître Akim Chergui s’exprime sur l'affaire Martinez Zogo.

Dans cette interview, il explique pourquoi des requêtes ont été déposées à la justice militaire camerounaise pour solliciter une contre-autopsie et une requalification des motifs de "tortures et complicités de tortures" en "assassinat et complicité d'assassinat". Il explique aussi rester prudent sur l'existence hypothétique d'un second commando qui aurait assassiné Martinez Zogo après qu'un premier commando l'aurait torturé. 

Podcast sur l'affaire Martinez Zogo : présentation des faits et de la victime (1/3)

Vous êtes membre du collectif des avocats des ayant-droits de Martinez Zogo. Quelle suite a été réservée à la requête aux fins de requalification d'assassinat que vous avez déposée ?

Pour l'instant, nous n'avons eu aucun retour sur cette demande de requalification des faits. Il est évident que les bouleversements qui ont été connus par les services de l'instruction, avec le changement du magistrat instructeur, n'ont pas aidé, évidemment, à requalifier les faits.

Mais en revanche, nous maintenons notre demande du point de vue de la défense des parties civiles et nous la maintenons mordicus parce qu'on ne peut pas, si on veut contribuer efficacement à la manifestation de la vérité, on ne peut pas se cantonner aux faits de torture. On ne peut pas se limiter à ce fait parce qu'ils viennent eux-mêmes limiter l'instruction. Le juge d'instruction ne recherche que les faits qui concernent la torture.

Et puis, dans un second temps, ce qui est évident, c'est que l'affaire Martinez Zogo n'est pas l'affaire d'un lynchage. Les instructions pénales qui sont afférentes à la mort d'une personne sont l'homicide ou l'assassinat.

Nous menons pour l'instant ce combat, qui est un combat de procédure, mais qui est un combat fondamental pour l'éclaircissement de la vérité dans cette affaire.

Podcast sur l'affaire Martinez Zogo : l'enquête (2/3)

Mais pourquoi les avocats [des parties civiles dont vous faites partie] réclament-ils une nouvelle autopsie?

L'une des difficultés dans cette affaire, c'est que nous n'avons pas eu de communication du dossier et nous sommes limités dans notre pouvoir d'action.

On travaille un peu à l'aveugle puisque nous n'avons pas d'accès au dossier.

Ceci dit, nous n'avons eu de cesse de décrier et de nous plaindre quant au fait que les avocats de la défense, eux, ou en tout cas d'autres participant à la procédure, ont eu accès au dossier. Il y a une sorte d'inégalité des armes dans ce dossier qui pose problème.

Nous maintenons notre demande de contre-autopsie pour des raisons multiples. L'une de ces raisons, c'est que nous souhaitons consolider les premiers résultats de la première autopsie pour éviter, dans la perspective d'un débat futur, toute contestation sur la qualité de la première autopsie, qui a été effectuée dans les premières heures et dont on pourrait, peut-être, remettre en cause le caractère contradictoire.

Nous avons sollicité, dans cette perspective précise, l'intervention de praticiens étrangers qui, eux, ne seraient pas suspectés de participer d'un pouvoir ou d'un autre.

Podcast sur l'affaire Martinez Zogo : jusqu'au sommet de l'Etat (3/3)

Que pensez vous de cette version sur l'existence d'un deuxième commando ?

L'existence d'un second commando, c'est une hypothèse, mais comme toute hypothèse, elle relève de l'hypothétique : on ne sait pas. Et en tout cas, ce n'est pas étayé par des éléments matériels.

Les éléments objectifs qui seraient issus du dossier, nous n'avons que les dires, les suppositions d'un des inculpés qui est en prison et dont on peut penser qu'elles ne sont pas très sincères. Je ne sais pas.

Ce que je sais, en revanche, d'après mon expérience, c'est que lorsqu'on est de l'autre côté de la barre, en défense pénale, il nous est souvent offert la possibilité d'orienter ou de détourner l'attention de la justice sur une autre hypothèse. C'est ce qu'on appelle le plan B, [destiné] uniquement à minimiser les charges qui concernent nos clients. Ça arrive.

Au regard du rôle joué par de nombreux agents de la DGRE, certains affirment qu'il s'agit d'un crime d'Etat. Est-ce que vous partagez ce point de vue-là ?

Non, je ne partage pas ce point de vue. On peut parler de crime politique. Ça me semble beaucoup plus approprié à la situation, puisqu'un crime politique, c'est un crime dont le mobile a un rapport avec une perturbation ou un rapport de force politique, les conditions dans lesquelles on a laissé le macchabée à la vue et au su de tous, c'est un message politique.

Quel est votre le mot de fin ?

C'est très compliqué de dire si un procès, qui serait un procès équitable, avec un degré de technicité suffisant, pourra voir le jour, parce qu'aujourd'hui les soubassements un peu politiques de ce dossier viennent polluer le travail judiciaire.

Nous espérons, et c'est un peu le sens de ma communication, que les autorités prennent en charge cette difficulté et permettent à une instruction véritablement contradictoire de voir le jour.

C'est un peu le sens de notre combat aujourd'hui. C'est un combat de l'ombre parce que nous, à la différence de certains de mes confrères qui violent la déontologie, nous ne faisons pas de conférence de presse pour raconter ce qu'on fait. On respecte le secret de l'instruction.