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"Mon féminisme est basé sur une masculinité positive"

Robert Adé
31 mai 2023

Angélique Kidjo revient sur le succès de sa musique, son engagement pour la défense des droits humains et ses actions sociales en Afrique, notamment le lancement de l'antenne de sa Fondation Batonga au Sénégal.

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Angelique Kidjo aux GRAMMY Awards en 2022
La chanteuse Angelique KidjoImage : Frazer Harrison/Getty Images

La chanteuse béninoise, Angélique Kidjo, connue pour la diversité de ses influences musicales, l'originalité de ses clips et son engagement humanitaire a notamment interpété des tubes comme AgoloWe WeAdoumaWombo LomboAfirika ou encore Batonga. Batonga c'est justement le nom de sa Fondation dont elle nous parle dans cette interview réalisée par notre correspondant à Dakar.

DW : Bonjour, Angélique Kidjo !

ANGELIQUE KIDJO : Bonjour !

DW : Lauréate de cinq Grammy Awards, vous avez décroché cette année le prestigieux Prix Polar Music. C'est quoi votre secret ?

ANGELIQUE KIDJO : Je n'y pense pas. C'est ça mon secret. Je travaille. Je dis souvent, quand on a la chance de vivre de sa passion, on est un privilégié. Ne pas se plaindre, continuer à utiliser cette passion pour créer des liens avec les autres et avancer. C'est ça mon secret. Chaque jour, quand je me réveille, c'est toujours, qu'est-ce que je peux faire de mieux aujourd'hui ?

DW : Pourquoi Batonga ?

ANGELIQUE KIDJO : Il n'y a pas de frontière entre la musique et les œuvres sociales. On chante pour qui ? Pour les êtres humains ! La naissance de Batonga a coïncidé avec la croisée de mon travail avec l'UNICEF. Quand les mères vous demandent de les aider à garder leurs filles à l'école parce que le programme d'école primaire s'arrête et qu'elles n'ont pas envie que leurs filles aient le même futur qu'elles car, elles ont été mariées jeunes, elles ont souffert par rapport à ça. Elles veulent protéger leurs enfants contre les mariages précoces. Je dois répondre à ces demandes. Quand les mères du continent me font asseoir et me parlent, je ne peux pas ne pas les écouter ! Quand ma maman me parle, j'écoute et j'exécute.  Et c'est comme ça que j'ai répondu en créant Batonga, d'abord pour l'éducation secondaire en inscrivant les filles au cours secondaire. Je l'ai fait de 2006 à 2016, en faisant de telle sorte que ça ne coûte pas un centime aux parents. Et, en 2016, j'ai dit, on va voir les raisons pour lesquelles certaines filles ont abandonné l'école. J'ai dit, pour ça, il faut avoir des données. Tout le monde parle de data, de data. Ce n'est pas des data rise pour faire de l'argent mais des data qui servent vraiment à répondre précisément aux besoins de ces jeunes filles et de ces jeunes femmes. Et c'est là où nous en sommes aujourd'hui. Ces données nous ont permis de créer des curriculums taillés pour les besoins de ces jeunes filles dans leurs communautés, avec leurs communautés.

DW : Justement, vous venez de lancer les programmes de Batonga Sénégal. Les besoins sont-ils différents de ceux des adolescentes et jeunes femmes des autres pays dans lesquels vous intervenez ?

ANGELIQUE KIDJO : Absolument ! Ce ne sont pas du tout les mêmes écosystèmes. Le Sénégal est majoritairement un pays musulman. Donc, il faut forcément passer par les chefs religieux pour leur parler. Il faut expliquer aux gens ce qu'on a envie de faire. Il faut les amener à comprendre que ce qu'on est en train de faire c'est pour leurs enfants, et que les seuls bénéficiaires, ce sont eux-mêmes. Ce n'est pas quelqu'un qui va venir de l'extérieur pour changer leur vie. C'est en changeant la vie de leurs enfants que leur futur devient meilleur. C'est pour ça, qu'ici, l'approche, là où on va dans le sud (Kolda et Sédhiou), c'est l'endroit où il y a un nombre élevé de filles qui laissent l'école parce qu'elles  tombent enceinte, elles sont mariées très jeunes. Il faut qu'on arrive à faire comprendre aux parents, le fait de laisser la jeune fille grandir, aller à l'école et avoir un métier, c‘est toujours un plus pour le père, pour la mère, pour la famille au sens le plus large du terme, pour la communauté et pour le pays. Car, si on aime nos enfants, il faut qu'on les protège. A moins qu'on accepte et qu'on dise qu'en Afrique, nos jeunes filles sont des marchandises qu'on vend. C'est une tradition qui ne nous grandit pas. Il faut que ça s'arrête.

Ecoutez l'interview

DW : Batonga a-t-elle cessé d'être une fondation féministe puisque vos prévisions pour le Sénégal prennent désormais en compte les garçons et les hommes ?

ANGELIQUE KIDJO : Non ! Mais au Bénin déjà, on prend en compte les hommes et les garçons en charge. Moi mon féminisme, c'est basé sur une masculinité positive parce qu'il y a des hommes qui ont envie que les jeunes filles aussi avancent. Moi, je n'aime pas les généralités. Les généralités, c'est un réducteur. J'ai grandi dans une famille de garçons quand-même ! J'ai sept frères avec mon père. Jamais on ne m'a dit que parce que je suis une fille, je ne peux pas aller à l'école, je ne peux pas faire ci, je ne peux pas faire ça. Je ne peux pas en ayant eu l'exemple d'hommes qui m'ont soutenue jusque-là où je suis aujourd'hui pour aller dire que les hommes ne comptent pas. Moi, je ne peux pas dire ça. Ce serait mentir, ce serait renier mon père et mes frères. Je ne peux pas le faire ! Si on n'aide pas les jeunes garçons, on ne réussira pas.

DW :  Angélique Kidjo, comment expliquer votre engagement pour les Droits humains ?

ANGELIQUE KIDJO : J'ai grandi dans une maison ouverte à tout le monde. Il n'y a pas de sujet tabou à l'exception du racisme, de la xénophobie et de l'antisémitisme. Mon père, la haine ce n'est pas son histoire. Tant qu'on échange, on se connait mieux, on se comprend mieux, on devient meilleur citoyen. On part de ce principe pour donner le bénéfice du doute à l'autre. Pour moi, c'est ça. Partout où je vais, la personne qui veut me définir justement par rapport à ma couleur de peau, je lui dis, c'est ton problème. Ce n'est pas le mien. Toi je te vois comme un être humain. On peut se parler. Au lieu de me réduire à ma couleur et à mon sexe, parlons. Je ne suis pas dans cette logique à essayer de comprendre pourquoi ceci, pourquoi cela. Les choses sont là. Gérons-les, dans la courtoisie, dans la dignité, dans le respect des uns et des autres.

DW : La Covid-19, l'insécurité, l'instabilité politique et les tensions sociales actuelles sur le continent africain sont-elles des obstacles pour la bonne exécution des programmes de Batonga ?

ANGELIQUE KIDJO : Non ! Au contraire, c'est une opportunité pour qu'on puisse changer de cap. Tout le monde regarde vers quoi se tourner ? Qu'est-ce qu'on peut faire pour améliorer notre vie au quotidien ? Acheter à manger aujourd'hui devient de plus en plus cher à cause du conflit de la Russie avec l'Ukraine. Qu'est-ce qu'on fait ensemble ? On va s'asseoir et mourir de faim ou on va avoir une organisation qui va arriver en disant, on peut faire des choses ensemble pour votre propre bien. Moi, je suis toujours en train d'essayer de trouver des solutions. Quand on est dans la négativité totale, tout le temps en train de se plaindre, on devient aigri, et quand on le devient, c'est la peur qui s'installe, c'est la haine qui s'installe. Et avant qu'on ne s'en rende compte, on est dans des mouvements violents et on s'en prend à des gens qui souffrent autant que vous, qui n'ont rien fait, qui n'y sont pour rien dans votre situation. C'est pour ça que moi je dis toujours que quand on propose une lumière et une aide quelque part, un certain partenariat, il faut le prendre.

DW : Angélique Kidjo, merci !

ANGELIQUE KIDJO : Merci beaucoup !